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Saturday, 14 June 2014

L’indomptable Ken Bugul, la lionne de la littérature africaine

[Traduit de la version original espagnole par Anissa Dab (Merci Anissa!!!)]

Pieds nus, et avec son simple boubou blanc à pois colorés, apparaît au milieu des ouvriers Ken Bugul, avec retenue, comme si elle voulait feindre une vieillesse qui ne l’avait pas encore atteinte.

Nous entrons dans sa maison, sobre et confortable, dont le seul “excès” est un splendide trône du Benin entouré d’étagères de livres, et nous commençons tout de suite à parler de son livre Le Baobab fou ; de la magie des baobabs sacrés qui protègent et punissent le peuple qui les vénèrent, qui rient, pleurent et rêvent avec ce peuple ; et aussi de SON baobab (un véritable baobab en particulier) auquel elle cherchait à s’identifier à cause de la solidité et de la force de ses racines.

- Je l’ai tué. Il est mort pour que je puisse vivre…

Cela ne me servait à rien de connaître l’histoire du roman, sa propre histoire à elle. Une petite fille séparée de sa mère prématurément et sans explication. Une jeune femme qui, alors qu’elle avait réussi à partir pour l’occident, n’y trouve pas ses racines perdues. Une femme qui, en rentrant dans son pays, retrouve son baobab, toujours debout, qui a l’air toujours vivant, mais…

« J’avais rendez-vous avec le baobab, je n’y suis pas allée et je n’avais pas pu le prévenir, je n’ai pas osé. Ce rendez-vous manqué l’a rendu très malheureux. Il est devenu fou et mourut peu de temps après. » (page 181)

C’est vraiment arrivé ? Un baobab peut mourir de chagrin ?

- Pas UN baobab, LE baobab. Au Sénégal on voit beaucoup de baobabs, des arbres comme n’importe quels autres. Mais dans chaque village il y a un baobab sacré, un arbre complètement lié à la vie des gens de ce village qu’il connaît et qu’il protège. Et lorsque d’un seul coup, sans tomber malade avant, il meurt et tombe au sol, les gens savent qu’il est mort pour les sauver d’un grand danger.

Dans mon cas, je sais qu’il est mort pour que je puisse, après mon expérience traumatisante, commencer une nouvelle vie. 

Je fais le commentaire que le livre a l’air d’être écrit en pleine crise émotionnelle, avec une structure parfois démembrée qui exprime très bien les sentiments du personnage.

-Lorsque j’étais en Belgique j’écrivais très peu, seulement quelques notes, nostalgiques de mon village natal, qui avaient aussi un baobab dans leur titre. Mais le livre je l’ai écrit dix ans plus tard, après l’expérience terrible que j’avais vécu en France - maltraitée par l’homme qu’elle aimait, racontée postérieurement dans Cendres et Braises - et dont je suis sortie à ramasser à la petite cuillère.

Certains de mes amis avaient gardé mes notes. Je leur ai demandé qu’ils me les envoient mais je me suis rendu compte que cette histoire n’était plus celle que je voulais raconter, et ainsi j’ai écrit le livre sans consulter ces notes.

Et comment avez-vous réussi à vous "enraciner" à nouveau ? -demandai je, pétrifié dans mon fauteuil, fasciné par la force de cette femme si courageuse -Avez-vous essayé de reprendre contact avec votre mère ? 

-Tu dois prendre en compte l’importance de la pudeur en Afrique. Tu ne peux pas aller directement voir ton père ou ta mère et leur dire que tu te sens abandonné ou quoi que ce soit. Il existe la figure de l’oncle maternel pour parler à la mère (ou de la tante paternelle pour parler au père), mais dans mon cas il était déjà mort, je ne pouvais donc pas passer par lui.

Ma relation avec ma mère n’était pas froide, mais elle n’était pas non plus intime. Et c’est quelque chose que je n’ai jamais pu récupérer. Quand je suis revenue de Belgique j’ai vécu avec des amies, pas avec des membres de ma famille, j’étais déjà une femme indépendante. Mais par chance il existe d’autres racines, une autre union avec son village et sa terre natale. 

Pour sortir de ces souvenirs douloureux, mais tout en continuant à discuter de son premier livre, elle loua sa fierté en parlant de la bisexualité/homosexualité, lorsqu’elle découvrit que son compagnon en Belgique avait des « tendances homosexuelles », et elle le compare à un « esclave de la famille ».

- Mais autrefois, l’homosexualité était totalement acceptée au Sénégal! - me répondit-elle en riant. - Gor-Djigen, comme on l’appelait, homme-femme, était respecté malgré ses manières - et elle se mit tout naturellement à imiter les gestes et les façons de parler de son "esclave". Je pense que son génie comique est l’aspect le plus méconnu de cette femme aux multiples facettes, mais elle remplit de moments tordants le reste de la conversation.

En Afrique nous continuons d’appeler gentiment "esclaves" les descendants des véritables esclaves qui appartenaient à la famille. Ou bien aux cousins paternels qui en théorie sont nos esclaves. Mais ils aiment bien cela, c’est une façon pour eux de se sentir "liés" à la famille. L’appartenance, le fait d’avoir sa place dans la société est très important. 

Par exemple, quand tu t’en iras, ma fille pourrait venir me dire – et à nouveau elle reprit son rôle d’interprète – qui est ce badolo qui est venu à la maison à une heure pareille et sans apporter ni pain ni rien pour nous inviter à petit-déjeuner ? -et on se mit à rire tous les deux, moi un peu "pris en flagrant délit" par cette accusation soudaine !

"Badolo" est un terme dépréciatif bien que parfois il soit utilisé gentiment, pour faire référence à un homme commun, qui n’a pas de caste, qui n’est ni griot, ni de famille royale, ni artisan…D’ailleurs les griots pour l’embellir, quand ils veulent te faire payer un petit quelque chose en chantant tes louanges t’appeleraient "guer", c’est un euphémisme. Comme tu n’as pas de caste, tu devrais être un érudit ou quelqu’un d’important. 

- Et vous, de quelle caste êtes-vous ?

Badolo affirma-t-elle, et nous éclatons tous les deux de rire.

Il faut aussi tenir compte du fait que durant la crise des années 80 et les plans d’ajustement structurels très durs imposés par la Banque mondiale, le Sénégal a du demander de l’argent aux pays arabes, qui ont envoyé des "infiltrés" dans notre pays, qui essayèrent d’implanter leur façon de voir la religion, la sharia… Et c’est en partie pour cela que le Sénégal souffre aujourd’hui de "squizophrénie" perdu entre ses propres traditions, les différentes versions de l’islam et le capitalisme. C’est bizarre que l’on parle de cela maintenant en référence au "Baobab" alors que c’est le thème du livre que je viens de terminer. 

Mais avant que la conversation ne s’engage vers l’actualité, je ne veux pas manquer l’occasion de lui poser des questions sur l’expérience qu’elle raconte dans Riwan ou le Chemin de Sable, où au retour de son expérience traumatisante en France, la femme "libérée" et occidentalisée devient…la 28e femme d’un marabout !

- Ce fut une expérience merveilleuse. Mais je n’étais pas exactement son épouse. Un marabout, comme tous les musulmans, ne peut avoir que quatre femmes. Une doit venir de sa propre famille, une autre d’une famille érudite, une autre d’une famille royale et la dernière d’une famille différente. Les autres sont "taco", ce qui signifie "le lien" - répète-t-elle en serrant les poings avec force pour souligner l’importance de ce "quelque chose" immatériel qui les unit.

Je le connaissais depuis petite. Et quand je suis revenue de France dans un état lamentable, tout le monde me rejetait (c’est pour cela qu’aujourd’hui je ne dis presque à personne que je suis là, c’est dur d’oublier comment ils m’ont traitée). Je vins à lui pour recevoir une aide spirituelle et il m’a soutenu et donné des conseils et de la tendresse. Un jour il me proposa le "taco". Mais cela n’a rien à voir avec le sexe, il avait déjà plus de quatre vingt dix ans ! Et moi je ne vivais même pas avec lui. J’allais le voir presque tous les jours, à pieds, et c’est pour cela que le livre s’appelle "le chemin de sable". 

Le marabout accueille souvent chez lui des femmes rejetées par la société et il se lie à elle pour les valoriser, leur donner confiance en elles. Imagine, non seulement il te dit que tu vaux quelque chose, mais en plus il décide de se lier à toi. Cela te fait reprendre beaucoup de confiance en toi. 

En plus, les autres femmes du marabout m’ont beaucoup appris. A moi, supposée femme "libérée" - on revient au mime – mais qui comme tant d’autres femmes en occident était obsédée par l’idée "d’avoir" un homme, dominée par l’idée de possession et par la jalousie.

"Mariétou, occupe toi de toi" me disait-on en se riant de mes histoires en occident, où tout le monde attend le prince charmant. "pourquoi attendre ?" Et ils avaient raison. Partager la vie de ces femmes m’a apporté la paix nécessaire pour refaire ma vie, lire, écrire, et m’occuper de moi.

La conversation dérive vers les mariages bourgeois d’antan en Europe, où les époux avaient des chambres séparées, ce qui paraît indispensable à Ken Bugul.

- Moi, je peux seulement aimer quelqu’un qui soit supérieur à moi d’une certaine façon. Qu’il ait une passion. Ou plusieurs. Un musicien, un peintre comme Picasso (enfin, non, il avait un caractère trop spécial), mieux, Dali. Quelqu’un qui n’ait pas besoin de moi tout le temps, que me laisse avoir ma vie. L’important c’est que lorsque nous sommes ensemble, notre conversation, notre "lien", soit spécial. 

Ce que je veux c’est un amant,  pas un mari » – conclut-elle, catégorique et souriante.

- Et vous pourriez accepter d’être la seconde femme de quelqu’un? 

- Pfff –elle s’incline dans son siège – ça c’est seulement pour les grandes personnalités, un génie, un marabout…qu’ils en soient capables. Mais oui, si je peux faire ma vie et que lorsque nous sommes ensemble, le lien est spécial, oui, ça me convient – ponctue-t-elle d’un sourire un peu ironique.

C’est impossible d’écrire tous les thèmes qui surgirent dans la conversation, ni comment on en vint à parler de nous retrouver dans l’Himalaya, son grand projet.

- Moi je vais monter sur la cime de l’Himalaya, même si cela doit me prendre le reste de la vie – dit-elle sans se troubler. Et si elle n’était pas Ken Bugul, personne ne croirait qu’elle parle sérieusement…

Ken Bugul, qui en wolof s’signifie "celle que personne n’aime" (parfois utilisé comme stratagème pour libérer un enfant d’une mort prématurée qui l’attend), m’assoit sur le trône du Bénin pour une photo, me serre dans ses bras et m’accompagne, pieds nus, vigoureuse, en saluant les ouvriers par leur nom. Elle ne peut plus cacher son énergie débordante et quand la voisine s’approche pour lui raconter se problèmes et lui demander conseil, il est clair que son nom d’artiste n’a rien à voir avec la réalité de l’amour et de l’admiration qu’elle inspire.

Elle ne s’en va pas, une fois m’avoir mis dans le taxi –le chauffeur est un aspirant gendre, m’informe-t-elle – avant de m’avoir donné deux bises et m’avoir serré la main gauche, pour assurer que nous nous reverrons.

Il va donc falloir que je commence à préparer mes bottes pour l’Himalaya…


Monday, 19 May 2014

The untameable Ken Bugul, the lioness of African literature

[Translated from the original spanish version by Diego Urdiales. Thank you Diego!!]

Barefoot, wearing a simple colour-dotted white kaftan, Ken Bugul appears parsimoniously amongst the workers, as though feigning an old age that she is yet to reach.

We go up to her home, sober and comfortable, with a splendid Benin throne surrounded by bookshelves as the sole note of flamboyance, and we start by directly talking about her book “The Abandoned Baobab”, about the magic of the sacred baobab which protects and punishes the people that worship it, which laughs, cries and dreams with them, and about her own baobab (a real and specific one) with which she wanted to identify herself, with its robustness, with its strong roots.

I killed it. It died so that I could live… 

Knowing the story of her novel beforehand ―her story, ― was of no use. A girl separated from her mother at a young age and without explanations. A young woman who, after managing to travel to the West, is unable to find her missing roots there. A woman who, after returning to her country, finds her baobab again, still standing, still apparently alive, but…

I had an appointment with the baobab, I didn’t go but I couldn’t warn it, I didn’t dare. That meeting I didn’t attend caused it great sadness. It went crazy and died shortly after.” (p. 181)

Did that really happen? Can a baobab die of sadness?

Not a baobab, the baobab. In Senegal, you can see many baobabs, trees like any other. But in each village there is a sacred baobab, a tree completely linked to the life of that village, which it knows and protects. And when suddenly, with no prior sign of illness, it dies and falls to the ground, the people know that it has died to save them from some danger.

In my case, I know it died so that I, after my traumatic experience, could start a new life.

I point to her that the book seems to have been written in the midst of an emotional breakdown, with an often dismembered structure which reflects very well the feelings of the main character.

While I was in Belgium I wrote very little, just a few notes of homesickness about my birthplace, which also carried the baobab in their title. But I only wrote the book ten years later, after the terrible experience I went through in France, ―abused by the man she loved, which she later related in “Ashes and Embers”― which left me in tatters.

Some friends had kept my notes. I asked them to send them to me, but I realized that was no longer the story I wanted to tell, so I wrote the book without looking at them.

And how did you manage to “take root” again? ―I ask her petrified in my armchair, fascinated by the strength of this brave woman. Did you try to recover the relationship with your mother?

You must consider the importance of modesty in Africa. You can’t directly go to your mother or your father and tell her that you feel abandoned or something like that. There is the figure of your maternal uncle to talk to your mother (or paternal aunt to talk to your father), but in my case he was already dead, so I couldn’t resort to him.

My relationship with my mother was not distant, but it wasn’t intimate either. And that I couldn’t get back. When I came back from Belgium, I lived with some friends, not with relatives, I was already an independent woman. But luckily there are other roots, a union with the people and the birthplace…

To go out of those painful memories, but still talking about the first book, I praise her braveness to bring up the subject of bisexuality/homosexuality when she discovers that her partner in Belgium has “homosexual tendencies” and compares him to a “family slave”…

But homosexuality was fully accepted in Senegal before! ―she laughs. Gor-Djigen, as we called him, man-woman, was respected in spite of his manners ―and, full of naturalness, she starts imitating the gestures and way of speaking of her “slave”. Humour is probably the least well known register of this multifaceted woman, but it fills the rest of our conversation with hilarious moments.

In Africa we still affectionately call “slaves” the descendants of the true slaves that belonged to the family. Also our paternal cousins, who are theoretically our slaves. But they like it, it’s a way of feeling “attached” to the family. Belonging, having your place in society, is very important. 

For instance, when you leave, my daughter could come and tell me ―again, her acting in full flair― “Who was this badolo who came home this early and didn’t even bring bread or any breakfast?”― and we both start laughing, myself a little ashamed by the sudden accusation.

“Badolo” is a derogatory term even if it’s sometimes said affectionately, to refer to the common man, who has no caste, who is no griot or royalty or craftsman… In fact, if griots wanted to embellish their speech when singing your praises, to get some money from you, they would call you “guer”, a euphemism…  As you have no caste, you must be a scholar or someone important.

And what caste are you?― I ask.

Badolo― she states forthrightly and we both burst into laughter.

You must also take into account that, with the crisis in the eighties and the tough adjustment plans from the World Bank, Senegal ended up borrowing money from the Arab countries, which sent “undercover” envoys to the country and tried to impose their way of seeing religion, the sharia… And that is partly the cause for the “schizophrenia” that present Senegal suffers from, amidst its own traditions, the different versions of Islam and capitalism. It is surprising that we are now talking about this referring to “The Abandoned Baobab”, given that it is the subject of the book I have just finished.

But before the conversation diverts towards the pathways of today, I do not want to miss the chance to ask her about the experience she relates in “Riwan or the Sandy Track”, where, after coming from the traumatic experience in France, the “freed” and westernized woman becomes… the 28th wife of a marabout!

It was a wonderful experience. But I was not exactly a wife. A marabout, like any Muslim, can only have four wives. One must be from his own family, one from a scholar family, one from a royal family, and finally one from a different family. The rest are “taco”, which means “link” (“le lien”, in French) ―she repeats as she clinches her fists to stress the importance of that immaterial “something” that bonds them.

I knew him since I was a child. And when I came back from France in tatters, everyone rejected me (that is why now I hardly tell anyone that I’m here, it’s hard to forget how they treated me). So I went to him for spiritual help, and he supported me and gave me advice, and tenderness. One day he proposed me “taco”. But this has nothing to do with sex, he was already over ninety years old! I didn’t even live with him. I walked to see him almost every day, which is why the book’s title is “the sandy track”.

Oftentimes, the marabout shelters women who have been rejected by society in his home, and he “binds” to them to give them value, self-esteem. Think about it, not only does he tell you how much you’re worth, he even chooses to bind himself to you. That makes you recover a lot of self-confidence. 

Moreover, the marabout’s other wives taught me a great deal. Me, the supposedly “liberated” woman, ―we resume the pantomime― but who, like many women in the West, was obsessed with “having” a man, dominated by the idea of possession and by jealousy.

Mariétou, tend to your affairs”, they told me, laughing about my stories from the West, where every woman waits for a prince of charming. “Why wait?” And they were right. Sharing my life with these other women brought me the peace I needed to remake my life, read, write and tend to myself. 

The conversation now shifts to the bourgeois marriages in old-time Europe, where the spouses had separate rooms, which Ken Bugul finds essential. 

I can only love someone who is superior to me in some aspect. Who has a passion. Or several. A musician, a painter like Picasso (well, not him, he had too special a character, better Dalí). Someone who is not on top of me all the time, who lets me live my own life. What matters is that when we’re together, our conversation, our “bond”, is something special.

I want a lover, not a husband ―she concludes, forthright and smiling.

And could you accept being someone’s second wife?

Pff ―she leans back in her chair.― That is just for great personalities, a genius, a marabout… who are capable of that. But yes, if I can live my life and when we are together, the bond is special, yes. It suits me ―she adds with a slightly ironic smile. 

It is impossible to write about every subject that came up in the conversation, or how we ended up talking about meeting in the Himalayas, her great project.

I’m going to climb to the top of the Himalayas, even if takes the rest of my life ―she says, unmoved. And if she was not Ken Bugul, nobody would take it seriously…

Ken Bugul, which means “one who is unwanted” in Wolof (sometimes as a trick to free a child from the early death which supposedly awaits him), sits me in the Benin throne for a picture, hugs me and then walks me, barefoot and vigorous, greeting the workers by their names. She can no longer hide her overflowing energy, and when a neighbour approaches her to tell her about her problems and ask her for advice, it becomes apparent that her pen name does not match the respect and admiration she commends.

She will not leave until, having put me in the taxi ―the driver is an aspiring son-in-law of hers, she informs me, ― she gives me two kisses and we shake each other’s left hand to make sure we will meet again. 

I should start getting my boots ready for the Himalayas…


Wednesday, 28 August 2013

La indomable Ken Bugul, la leona de la literatura africana.

Descalza, con un sencillo bubú blanco con puntitos de colores aparece entre los obreros parsimoniosamente Ken Bugul, como si quisiera fingir una vejez que todavía no la ha alcanzado.

Subimos a su casa, sobria y confortable, con el único "exceso" de un espléndido trono de Benín rodeado de estanterías de libros y comenzamos hablando directamente de su libro "El baobab que enloqueció", de la magia de los baobabs sagrados que protegen y castigan al pueblo que les venera, que ríen, lloran y sueñan con él y de SU baobab (un baobab real y concreto) con el que ella quería identificarse por su solidez, por sus fuertes raíces.

- Yo lo maté. Él murió para que yo pudiera vivir...

No me sirvió de nada conocer ya la historia de su novela, su propia historia. Una niña separada tempranamente y sin explicaciones de su madre. Una joven que tras conseguir viajar a occidente no es capaz de encontrar allí las raíces perdidas. Una mujer que al volver a su país se encuentra con SU baobab, que sigue en pie, que parece seguir con vida, pero...

"Tenía una cita con el baobab, no había acudido y no pude avisarle, no me atreví. Ese encuentro al que falté le provocó una enorme tristeza. Se volvió loco y murió poco tiempo después" (pág 181)

¿Ocurrió de verdad? ¿Puede un Baobab morir de tristeza?

- No UN baobab, EL baobab. En Senegal puedes ver muchos baobabs, árboles como otros cualquiera. Pero en cada pueblo hay un baobab sagrado,un árbol ligado completamente a la vida de la gente de ese pueblo al que conoce y protege. Y cuando de pronto, sin enfermar previamente, muere y cae sobre la tierra, la gente sabe que ha muerto para salvarles de algún peligro. 

En mi caso yo sé que murió para que, después de mi experiencia traumática, yo pudiera comenzar una nueva vida.

Le comento que el libro parece escrito en pleno derrumbe emocional, con una estructura a veces desmembrada que expresa muy bien los sentimientos del personaje. 

- Mientras estaba en Bélgica escribí muy poco, sólo unas notas a modo de nostalgia del pueblo natal, que llevaban también al baobab en el título. Pero el libro lo escribí unos diez años después, tras la terrible experiencia que viví en Francia -maltratada por el hombre al que amaba, narrada posteriormente en "Las cenizas y las brasas"- y de la que volví hecha pedazos.

Unos amigos habían guardado mis notas. Les pedí que me las enviaran pero me dí cuenta que esa ya no era la historia que quería contar, así que el libro lo escribí sin consultarlas. 

Y ¿cómo consiguió "enraizarse" de nuevo? -pregunto petrificado en mi sillón, fascinado por la fuerza de esta valerosa mujer- ¿Intentó recuperar la relación con su madre?

- Tienes que tener en cuenta la importancia del pudor en África. Tú no puedes ir directamente a tu padre o tu madre y decirle que te sientes abandonada o algo así. Existe la figura del tío materno para hablar con tu madre (o la tía paterna para hablar con el padre), pero en mi caso ya estaba muerto, así que no podía recurrir a él.

La relación con mi madre no era fría, pero tampoco era "íntima". Y eso ya no lo pude recuperar. Cuando volví de Bélgica viví con unas amigas, no con ningún familiar, era ya una mujer independiente. Pero por suerte hay otras raíces, otra unión con el pueblo y con la tierra natal...

Por salir de esos recuerdos dolorosos, pero siguiendo con el primer libro, alabo su valentía al tratar el tema de la bisexualidad/homosexualidad al descubrir que su pareja en Bélgica tiene "tendencias homosexuales" y lo compara con un "esclavo de la familia"...

- Pero si la homosexualidad era completamente aceptada antes en Senegal! -me contesta riendo-. Gor-Djigen, como le llamábamos, hombre-mujer, era respetado a pesar de sus maneras -y con toda naturalidad se pone a imitar los gestos y formas de hablar de su "esclavo". Su vis cómica creo que es la menos conocida de esta polifacética mujer, pero llena de momentos desternillantes el resto de la conversación-.

En África seguimos llamando "esclavos" cariñosamente a los descendientes de los verdaderos esclavos que pertenecieron a la familia. O a los primos por parte de padre que teóricamente son nuestros esclavos. Pero a ellos les gusta, es una forma de sentirse "ligados" a la familia. La pertenencia, el tener tu sitio en la sociedad es muy importante.

Por ejemplo, cuando te vayas, mi hija podría venir y decirme -de nuevo el despliegue interpretativo-  "Quién es este badolo, que ha venido a casa a estas horas sin traer ni pan ni nada para invitarnos a desayunar"? -y nos echamos los dos a reír, yo un poco "pillado in fraganti" por la repentina acusación-.

"Badolo" es un término despectivo aunque a veces se diga cariñosamente, para referirse al hombre común, que no tiene casta que no es griot, ni familia real, ni artesano... De hecho los griot para embellecerlo si quisieran sacarte algún dinero cantando tus alabanzas te llamarían "guer", un eufemismo. Como no tienes casta deberías ser un erudito o alguien importante.

Y usted ¿de qué casta es? -pregunto

- Badolo -afirma rotunda y estallamos los dos en carcajadas.

- También hay que tener en cuenta que con la crisis de los ochenta y los duros planes de ajuste estructural del Banco Mundial, Senegal acabó pidiendo dinero a los países árabes que fueron enviando "infiltrados" al país y que trataron de implantar su forma de ver la religión, la sharia... Y es en parte responsable de la "esquizofrenia" que sufre el Senegal actual entre sus propias tradiciones, las distintas versiones del islam y el capitalismo. Es curioso que hablemos de esto ahora en referencia al "Baobab que enloqueció" cuando es el tema del libro que acabo de terminar.

Pero antes de que la conversación se encamine por los senderos de la actualidad no quiero que se me pase preguntarle por la experiencia que cuenta en "Riwan o el camino de arena" en que tras volver de la traumática experiencia en Francia, la mujer "liberada" y occidentalizada se convierte en... la 28ª esposa de un marabout!

- Fue una experiencia maravillosa. Pero no era exactamente una esposa. Un marabout, como cualquier musulmán sólo puede tener cuatro esposas. Una debe ser de la propia familia, otra de una familia erudita, otra de familia real y la última de una familia diferente. Las demás son "taco", que significa "vínculo" ("le lien" en francés) -repite mientras cierra los puños con fuerza para resaltar la importancia de ese "algo" inmaterial que los une.

Yo lo conocía desde pequeña. Y cuando volví de Francia hecha pedazos todo el mundo me rechazó (por eso ahora no digo a casi nadie que estoy aquí, me cuesta olvidar cómo me trataron). Así que acudí a él para recibir ayuda espiritual y él me apoyó y me dió consejos y ternura. Un día me propuso "taco". Pero no tine nada que ver con el sexo, él tenía ya más de noventa años! Yo ni siquiera vivía con él. Iba a verle casi todos los días caminando, por eso el libro se titula "el camino de arena".

Muchas veces el marabout acoge en su casa a mujeres rechazadas por la sociedad y se liga a ellas para valorizarlas, para darles autoestima. Imagínate, no sólo te dice lo que vales sino que elige ligarse a ti. Eso te hace recuperar mucha confianza en ti misma

Además las otras mujeres del marabout me enseñaron muchísimo. A mí, la supuesta mujer "liberada" -retomamos la pantomima- pero que como tantas mujeres en occidente estaba obsesionada con "tener" un hombre, dominada por la idea de posesión y por los celos.

"Mariétou, ocúpate de ti" me decían riéndose de mis historias en occidente, donde todas esperan un príncipe azul "¿Por qué esperar?". Y tenían razón. Compartir la vida con esas mujeres me aportó la paz necesaria para rehacer mi vida leer, escribir y ocuparme de mí misma. 

La conversación deriva hacia los matrimonios burgueses antes en Europa donde los esposos tenían habitaciones separadas, lo que a Ken Bugul le parece indispensable.

- Yo sólo puedo amar a alguien que sea superior a mi en algún aspecto. Que tenga una pasión. O varias. Un músico, un pintor como Picaso (bueno, no, que tenía un carácter demasiado especial) mejor, Dalí. Que no esté pendiente de mi todo el tiempo, que me deje tener mi vida. Lo importante es que cuando estemos juntos, nuestra conversación, nuestro "vínculo" sea algo especial. 

Yo quiero un amante, no un marido -concluye rotunda y sonriente.

Y podría aceptar ser la segunda mujer de alguien?

- Buff -se reclina en la silla- eso es sólo para grandes personalidades, un genio, un Marabout... que sean capaces de ello. Pero sí, si yo puedo hacer mi vida y cuando estemos juntos el vínculo es especial,sí. Me conviene -puntualiza con otra sonrisa un poco irónica.

Es imposible escribir todos los temas que fueron saliendo en la conversación, ni cómo acabamos hablando de encontrarnos en el Himalaya, su gran proyecto.

- Yo voy a subir a la cima del Himalaya, aunque me lleve el resto de mi vida -dice sin alterarse. Y si no fuera Ken Bugul, nadie creería que habla en serio...

Ken Bugul, que en wolof significa "que nadie quiere" (a veces como estratagema para librar a un niño de la muerte temprana que supuestamente le espera) me sienta en el trono de Benín para una foto, me abraza y me acompaña descalza y vigorosa saludando a los obreros por su nombre. Ya no puede ocultar su energía desbordante y cuando una vecina se acerca a contarle sus problemas y pedirle consejo queda claro que su nombre artístico no se corresponde con la realidad del cariño y admiración que despierta.

No se va hasta que, habiéndome dejado dentro del taxi -el taxista es un aspirante a yerno, me informa- me da dos besos y nos damos la mano izquierda para asegurarnos de que volveremos a encontrarnos.

Habrá que ir preparando las botas para el Himalaya...