Saturday, 14 June 2014

L’indomptable Ken Bugul, la lionne de la littérature africaine

[Traduit de la version original espagnole par Anissa Dab (Merci Anissa!!!)]

Pieds nus, et avec son simple boubou blanc à pois colorés, apparaît au milieu des ouvriers Ken Bugul, avec retenue, comme si elle voulait feindre une vieillesse qui ne l’avait pas encore atteinte.

Nous entrons dans sa maison, sobre et confortable, dont le seul “excès” est un splendide trône du Benin entouré d’étagères de livres, et nous commençons tout de suite à parler de son livre Le Baobab fou ; de la magie des baobabs sacrés qui protègent et punissent le peuple qui les vénèrent, qui rient, pleurent et rêvent avec ce peuple ; et aussi de SON baobab (un véritable baobab en particulier) auquel elle cherchait à s’identifier à cause de la solidité et de la force de ses racines.

- Je l’ai tué. Il est mort pour que je puisse vivre…

Cela ne me servait à rien de connaître l’histoire du roman, sa propre histoire à elle. Une petite fille séparée de sa mère prématurément et sans explication. Une jeune femme qui, alors qu’elle avait réussi à partir pour l’occident, n’y trouve pas ses racines perdues. Une femme qui, en rentrant dans son pays, retrouve son baobab, toujours debout, qui a l’air toujours vivant, mais…

« J’avais rendez-vous avec le baobab, je n’y suis pas allée et je n’avais pas pu le prévenir, je n’ai pas osé. Ce rendez-vous manqué l’a rendu très malheureux. Il est devenu fou et mourut peu de temps après. » (page 181)

C’est vraiment arrivé ? Un baobab peut mourir de chagrin ?

- Pas UN baobab, LE baobab. Au Sénégal on voit beaucoup de baobabs, des arbres comme n’importe quels autres. Mais dans chaque village il y a un baobab sacré, un arbre complètement lié à la vie des gens de ce village qu’il connaît et qu’il protège. Et lorsque d’un seul coup, sans tomber malade avant, il meurt et tombe au sol, les gens savent qu’il est mort pour les sauver d’un grand danger.

Dans mon cas, je sais qu’il est mort pour que je puisse, après mon expérience traumatisante, commencer une nouvelle vie. 

Je fais le commentaire que le livre a l’air d’être écrit en pleine crise émotionnelle, avec une structure parfois démembrée qui exprime très bien les sentiments du personnage.

-Lorsque j’étais en Belgique j’écrivais très peu, seulement quelques notes, nostalgiques de mon village natal, qui avaient aussi un baobab dans leur titre. Mais le livre je l’ai écrit dix ans plus tard, après l’expérience terrible que j’avais vécu en France - maltraitée par l’homme qu’elle aimait, racontée postérieurement dans Cendres et Braises - et dont je suis sortie à ramasser à la petite cuillère.

Certains de mes amis avaient gardé mes notes. Je leur ai demandé qu’ils me les envoient mais je me suis rendu compte que cette histoire n’était plus celle que je voulais raconter, et ainsi j’ai écrit le livre sans consulter ces notes.

Et comment avez-vous réussi à vous "enraciner" à nouveau ? -demandai je, pétrifié dans mon fauteuil, fasciné par la force de cette femme si courageuse -Avez-vous essayé de reprendre contact avec votre mère ? 

-Tu dois prendre en compte l’importance de la pudeur en Afrique. Tu ne peux pas aller directement voir ton père ou ta mère et leur dire que tu te sens abandonné ou quoi que ce soit. Il existe la figure de l’oncle maternel pour parler à la mère (ou de la tante paternelle pour parler au père), mais dans mon cas il était déjà mort, je ne pouvais donc pas passer par lui.

Ma relation avec ma mère n’était pas froide, mais elle n’était pas non plus intime. Et c’est quelque chose que je n’ai jamais pu récupérer. Quand je suis revenue de Belgique j’ai vécu avec des amies, pas avec des membres de ma famille, j’étais déjà une femme indépendante. Mais par chance il existe d’autres racines, une autre union avec son village et sa terre natale. 

Pour sortir de ces souvenirs douloureux, mais tout en continuant à discuter de son premier livre, elle loua sa fierté en parlant de la bisexualité/homosexualité, lorsqu’elle découvrit que son compagnon en Belgique avait des « tendances homosexuelles », et elle le compare à un « esclave de la famille ».

- Mais autrefois, l’homosexualité était totalement acceptée au Sénégal! - me répondit-elle en riant. - Gor-Djigen, comme on l’appelait, homme-femme, était respecté malgré ses manières - et elle se mit tout naturellement à imiter les gestes et les façons de parler de son "esclave". Je pense que son génie comique est l’aspect le plus méconnu de cette femme aux multiples facettes, mais elle remplit de moments tordants le reste de la conversation.

En Afrique nous continuons d’appeler gentiment "esclaves" les descendants des véritables esclaves qui appartenaient à la famille. Ou bien aux cousins paternels qui en théorie sont nos esclaves. Mais ils aiment bien cela, c’est une façon pour eux de se sentir "liés" à la famille. L’appartenance, le fait d’avoir sa place dans la société est très important. 

Par exemple, quand tu t’en iras, ma fille pourrait venir me dire – et à nouveau elle reprit son rôle d’interprète – qui est ce badolo qui est venu à la maison à une heure pareille et sans apporter ni pain ni rien pour nous inviter à petit-déjeuner ? -et on se mit à rire tous les deux, moi un peu "pris en flagrant délit" par cette accusation soudaine !

"Badolo" est un terme dépréciatif bien que parfois il soit utilisé gentiment, pour faire référence à un homme commun, qui n’a pas de caste, qui n’est ni griot, ni de famille royale, ni artisan…D’ailleurs les griots pour l’embellir, quand ils veulent te faire payer un petit quelque chose en chantant tes louanges t’appeleraient "guer", c’est un euphémisme. Comme tu n’as pas de caste, tu devrais être un érudit ou quelqu’un d’important. 

- Et vous, de quelle caste êtes-vous ?

Badolo affirma-t-elle, et nous éclatons tous les deux de rire.

Il faut aussi tenir compte du fait que durant la crise des années 80 et les plans d’ajustement structurels très durs imposés par la Banque mondiale, le Sénégal a du demander de l’argent aux pays arabes, qui ont envoyé des "infiltrés" dans notre pays, qui essayèrent d’implanter leur façon de voir la religion, la sharia… Et c’est en partie pour cela que le Sénégal souffre aujourd’hui de "squizophrénie" perdu entre ses propres traditions, les différentes versions de l’islam et le capitalisme. C’est bizarre que l’on parle de cela maintenant en référence au "Baobab" alors que c’est le thème du livre que je viens de terminer. 

Mais avant que la conversation ne s’engage vers l’actualité, je ne veux pas manquer l’occasion de lui poser des questions sur l’expérience qu’elle raconte dans Riwan ou le Chemin de Sable, où au retour de son expérience traumatisante en France, la femme "libérée" et occidentalisée devient…la 28e femme d’un marabout !

- Ce fut une expérience merveilleuse. Mais je n’étais pas exactement son épouse. Un marabout, comme tous les musulmans, ne peut avoir que quatre femmes. Une doit venir de sa propre famille, une autre d’une famille érudite, une autre d’une famille royale et la dernière d’une famille différente. Les autres sont "taco", ce qui signifie "le lien" - répète-t-elle en serrant les poings avec force pour souligner l’importance de ce "quelque chose" immatériel qui les unit.

Je le connaissais depuis petite. Et quand je suis revenue de France dans un état lamentable, tout le monde me rejetait (c’est pour cela qu’aujourd’hui je ne dis presque à personne que je suis là, c’est dur d’oublier comment ils m’ont traitée). Je vins à lui pour recevoir une aide spirituelle et il m’a soutenu et donné des conseils et de la tendresse. Un jour il me proposa le "taco". Mais cela n’a rien à voir avec le sexe, il avait déjà plus de quatre vingt dix ans ! Et moi je ne vivais même pas avec lui. J’allais le voir presque tous les jours, à pieds, et c’est pour cela que le livre s’appelle "le chemin de sable". 

Le marabout accueille souvent chez lui des femmes rejetées par la société et il se lie à elle pour les valoriser, leur donner confiance en elles. Imagine, non seulement il te dit que tu vaux quelque chose, mais en plus il décide de se lier à toi. Cela te fait reprendre beaucoup de confiance en toi. 

En plus, les autres femmes du marabout m’ont beaucoup appris. A moi, supposée femme "libérée" - on revient au mime – mais qui comme tant d’autres femmes en occident était obsédée par l’idée "d’avoir" un homme, dominée par l’idée de possession et par la jalousie.

"Mariétou, occupe toi de toi" me disait-on en se riant de mes histoires en occident, où tout le monde attend le prince charmant. "pourquoi attendre ?" Et ils avaient raison. Partager la vie de ces femmes m’a apporté la paix nécessaire pour refaire ma vie, lire, écrire, et m’occuper de moi.

La conversation dérive vers les mariages bourgeois d’antan en Europe, où les époux avaient des chambres séparées, ce qui paraît indispensable à Ken Bugul.

- Moi, je peux seulement aimer quelqu’un qui soit supérieur à moi d’une certaine façon. Qu’il ait une passion. Ou plusieurs. Un musicien, un peintre comme Picasso (enfin, non, il avait un caractère trop spécial), mieux, Dali. Quelqu’un qui n’ait pas besoin de moi tout le temps, que me laisse avoir ma vie. L’important c’est que lorsque nous sommes ensemble, notre conversation, notre "lien", soit spécial. 

Ce que je veux c’est un amant,  pas un mari » – conclut-elle, catégorique et souriante.

- Et vous pourriez accepter d’être la seconde femme de quelqu’un? 

- Pfff –elle s’incline dans son siège – ça c’est seulement pour les grandes personnalités, un génie, un marabout…qu’ils en soient capables. Mais oui, si je peux faire ma vie et que lorsque nous sommes ensemble, le lien est spécial, oui, ça me convient – ponctue-t-elle d’un sourire un peu ironique.

C’est impossible d’écrire tous les thèmes qui surgirent dans la conversation, ni comment on en vint à parler de nous retrouver dans l’Himalaya, son grand projet.

- Moi je vais monter sur la cime de l’Himalaya, même si cela doit me prendre le reste de la vie – dit-elle sans se troubler. Et si elle n’était pas Ken Bugul, personne ne croirait qu’elle parle sérieusement…

Ken Bugul, qui en wolof s’signifie "celle que personne n’aime" (parfois utilisé comme stratagème pour libérer un enfant d’une mort prématurée qui l’attend), m’assoit sur le trône du Bénin pour une photo, me serre dans ses bras et m’accompagne, pieds nus, vigoureuse, en saluant les ouvriers par leur nom. Elle ne peut plus cacher son énergie débordante et quand la voisine s’approche pour lui raconter se problèmes et lui demander conseil, il est clair que son nom d’artiste n’a rien à voir avec la réalité de l’amour et de l’admiration qu’elle inspire.

Elle ne s’en va pas, une fois m’avoir mis dans le taxi –le chauffeur est un aspirant gendre, m’informe-t-elle – avant de m’avoir donné deux bises et m’avoir serré la main gauche, pour assurer que nous nous reverrons.

Il va donc falloir que je commence à préparer mes bottes pour l’Himalaya…


El médico que leía a Chinua Achebe

Publicado originalmente por José Naranjo el 04-11-2013 en  http://blogs.elpais.com/africa-no-es-un-pais/2013/11/el-m%C3%A9dico-que-le%C3%ADa-a-chinua-achebe.html Gracias Pepe!!!


Castillo de Elmina, cañón et César Pérez

¿Se imaginan hacer un viaje en el que, cargado apenas con una mochila y saliendo de Sudáfrica, pasen por Botsuana, Zimbabue, Mozambique, Tanzania, Burundi, Ruanda, Uganda, Kenia y Etiopía para luego dar el salto a Senegal y continuar por Malí, Burkina Faso, Benín, Togo, Ghana, Nigeria y más allá? ¿Un viaje en el que conozcan a cientos de personas, descubran culturas increíbles y disfruten de lo mejor (también de lo peor) de África? Pues dejen de imaginar porque les voy a presentar a César Pérez, el médico burgalés que se enamoró de la literatura africana y que empezó su romance con este continente por donde deben empezar las buenas historias de amor, por la pasión del descubrimiento en vivo y en directo, sin intermediarios.

Pero empecemos por el principio. Como él mismo dice, “nací en Burgos un frío 18 de Diciembre de 1980”. Tras estudiar Medicina en la Universidad Complutense y hacer la especialidad en Medicina de Familia en el Hospital Doce de Octubre de Madrid, se arrancó a trabajar en el Centro de Salud Guayaba. Siempre inquieto, se implicó en el movimiento Yo sí Sanidad Universal, desde el que pretendía promover la atención a los inmigrantes sin papeles en contra de las medidas del Gobierno. Pero César, un enamorado de la literatura, sacó tiempo de donde no tenía para hacer el master de estudios literarios de la Complutense. Empedernido lector de autores africanos como Chinua Achebe, “el gran pionero” lo llama él, Ben Okri o Mia Couto, sus preferidos, la idea de viajar a África en cuanto acabara la especialidad le rondaba la cabeza. “Me fascinaba este continente, su cultura tradicional y quería hacer un viaje sin fecha de vuelta fija. Mi anterior gran viaje, al acabar la carrera, fue a la India. Me encantó, pero me quedé con ganas de no haber tenido billete de vuelta. Y de ahí salió”.



Lo conocí en Bamako, a la mitad de su periplo. Un amigo común que vive en Senegal me escribió un día y me dijo que César llegaba esa semana, que le hiciera un poco de Cicerone. Fuimos a tomar una cerveza y un bocadillo de brochetas al Zira, un local situado en el barrio de Hippodrome. Y empezó a contarme. Y yo no podía parar de escucharle. “¿Qué es lo mejor que te ha pasado?”, le pregunté yo. “Todo”, dijo él, “desde el saxofonista de Ciudad del Cabo que desde el primer día te invita a una barbacoa en su casa, ver a las ballenas congregarse en la puntita sur del continente, un hipopótamo que entra tranquilamente en tu hostal a orillas del delta del Okavango, saltar al vacío en las cataratas Victoria, nadar con delfines en Mozambique tras dejar al pintor callejero que te ha acogido en su casa, ver los leones en su espacio infinito del Serengetti, escapar de una situacion delicada rodeado de masais con machetes -gracias a los amigos, como siempre-, dormir en la misma cama con un soldado tutsi de los que liberaron la ciudad durante el genocidio ruandés, que te ofrezcan hacer espionaje industrial... o que una faringitis se convierta en una aventura en medio de las tribus del sur de Etiopía, sin electricidad ni cobertura, donde los niños salían corriendo aterrados cuando me quitaba la camiseta porque nunca habían visto un blanco con pelo en pecho”.

Y seguía hablando y hablando. “Y el cambio en África occidental, con la sensualidad de su arena cálida que te acaricia los pies, las manos que se juntan en el gran bol de comida compartida y el sol y los dioses que parecen bendecirte en un baño ritual en el Baobab Sagrado... Malí, con la misteriosa danza de máscaras en el pais dogon y la historia fascinante de sus tres imperios, donde tuve el privilegio de ser el primer turista en llegar a Gao desde 2009. Y tras la pesadilla de visados en Burkina Faso y Benín, descubrir la cotidianidad del vudú en Ouida o Togoville con los niños saltando entre las estatuas de los dioses y la vendedora de naranjas contándome entre los árboles de las raíces enlazadas que todavía espera ese hijo que nunca llega... Y todos los escritores que me han abierto las puertas de sus casas y del alma de este misterioso y querido continente que te golpea y te abraza a partes iguales. Que te remueve por dentro y te hace pensar como a Itxaso, una masai vasca que conocí en Tanzania, ¿qué será de mí cuando esté lejos de la inmensidad de África?...”.



Habla de escritores, porque el viaje no es sólo placer. Su idea es conseguir contactos en las universidades y hacer entrevistas a distintos autores, allí por donde pasa, para una futura tesis sobre literatura africana en torno al realismo mágico. En su blog, Lolyplanet, César va escribiendo su diario de viaje y colgando pequeños vídeos en donde muestra desde una fiesta Ashanti en Koumasi (Ghana) hasta la mezquita de Djingayreber en Tombuctú (norte de Malí). Y también en su bitácora, que se acerca con curiosidad y enorme respeto a decenas de culturas con las que César tiene la ocasión de compartir, recoge algunas experiencias negativas, como cuando le atracaron en una playa e intentaron violar a su acompañante. Sin embargo, salvo esta dura experiencia, a su juicio “lo más dificil ha sido aprender a gestionar la diferencia en la forma de tratar con el dinero que tenemos africanos y occidentales".

Según César, "la sensación de que cualquiera puede estar siendo simpático contigo porque cree que al final le vas a dar dinero, aunque no sea solo por eso, es muy desagradable. Sobre todo cuando lo mejor que tienen es su genuina y legendaria hospitalidad. Nosotros somos más cartesianos: o lo hago por amistad y es completamente gratis o es un negocio y fijamos el precio de antemano. Ellos son más flexibles o relativistas, como eres mi amigo solo espero que me des un poco de dinero; pero es que ademas le dan dinero hasta a su abuela cuando van a verla y si no tienen dinero, no van. En África occidental, sobre todo en Senegal, se mezcla con esa cultura maravillosa que tienen del compartir. Es el país donde yo he visto más claramente que cualquiera puede entrar en una casa y comer del bol comun donde come toda la familia. Pero esperan que tú hagas lo mismo, y como eres blanco y se supone que eres rico, en teoría te toca poner siempre y más”.



Viaja con lo puesto. Intenta gastar lo menos posible y se va quedando en alojamientos baratos o con gente a las que ha contactado previamente a través del sistema de couchsurfing. Es de buena conversación, excelente diría yo, y de un mal gusto terrible a la hora de elegir camisa. Pronto volverá a España, pero en su pequeña mochila traerá tantas maravillosas sensaciones y recuerdos que harán que este viaje le marque para toda la vida. Compartir con él un pequeño tramo de su alucinante experiencia fue todo un placer. Compartir con ustedes las peripecias de César, el médico burgalés que leía a Chinua Achebe, es abrirles la puerta de un viaje extraordinario. Asómense a su blog y véanlo ustedes mismos.

Le médecin qui lisait à Chinua Achebe

Originalement: José Naranjo | 04-11-2013  http://blogs.elpais.com/africa-no-es-un-pais/2013/11/el-m%C3%A9dico-que-le%C3%ADa-a-chinua-achebe.html

Traduit par: Sara Ortega Nieto (merci Sara!!)

Chateau d´Elmina, canon et César Pérez

Pouvez-vous imaginer de faire un voyage où, en portant seulement un sac-à-dos, vous sortez de l'Afrique du Sud, vous passez par Botswana, le Zimbabwe, le Mozambique, la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda, l'Ouganda, le Kenya et l'Éthiopie, pour aller plus tard vers le Sénégal et continuer par Mali, Burkina Faso, Bénin, Togo, Ghana, Nigéria et encore plus loin ? Un voyage où vous connaissez des centaines de personnes, découvrez des cultures incroyables et vous profitez du meilleur (et du pire) de l'Afrique? Arrêtez donc d'imaginer car je vais vous présenter à César Pérez, le médecin de Burgos qui est tombé amoureux de la littérature africaine et qui a commencé son histoire d'amour avec ce continent là où doivent commencer les bonnes histoires d'amour, par la passion de la découverte en première personne, sans intermédiaires.

Mais commençons par le début. D'après ses propres paroles "je suis né à Burgos un froid 18 Décembre de 1980". Après avoir étudié la médecine à l'Université Complutense de Madrid, et avoir fait sa spécialité de médecine générale à l'Hôpital Doce de Octubre à Madrid, il commença à travailler dans le centre de soins Guayaba. Toujours inquiet, il s'est impliqué dans le mouvement  Yo sí Sanidad Universal (moi oui santé universelle), à partir duquel il essayait de promouvoir l'assistance aux immigrants sans papiers contrairement aux mesures du Gouvernement. Mais César, amoureux de la littérature, trouva du temps là où il y en avait pas pour faire le Master d'études littéraires de l'Université Complutense. Lecteur acharné d'auteurs africains tels que Chinua Achebe, "le grand pionnier" d'après ses mots, Ben Bokri ou Mia Couto, ses préférés, l'idée de voyager en Afrique dès qu'il finisse son spécialité commença à lui tourner la tête. "J'étais fasciné par ce continent, sa culture traditionnelle, et je voulais y faire un voyage sans une date de retour fixe. Mon précédent grand voyage, après avoir fini ma licence, fût en Inde. J'avais adoré, mais j'aurais voulu ne pas avoir un billet de retour. Et de là l'idée".



Je lui avais connu à Bamako, à la moitié de son périple. Un ami commun qui habite au Sénégal m'avait écrit un jour pour me dire que César arrivait la semaine même, et que je devais jouer pour lui le Cicerone. Nous sommes allés prendre une bière et un sandwich de brochettes au Zira,un local situé dans le quartier de l'Hippodrome. Et il commença à me raconter. Et je ne pouvais pas arrêter de l'écouter. "C'est quoi le meilleur qui t'est jamais arrivé ?", je lui ai demandé. "Tout", il m'a répondu, "dès le saxophoniste de Cape Town qui depuis le premier jour m'invita à une barbecue chez lui, regarder les baleines se réunir dans la pointe du continent, un hippopotame qui rentre tranquillement dans ton auberge à bord du delta de Okawango, sauter dans le vide dans les Chutes Victoria, nager avec les dauphins au Mozambique  après avoir quitté le peintre errant qui t'a accueilli dans sa maison, voir les lions dans l'espace infini du Serengeti, s'échapper d'une situation délicate entouré de massais avec des machettes - tout grâce aux amis, comme d'habitude-, dormir dans le même lit avec un soldat tutsi de ceux qui ont libéré la ville après le génocide rwandais, qu'on te propose faire du espionnage industriel... ou qu'une pharyngite devienne une aventure au milieu des tribus du sud de Éthiopie, sans l'électricité ni réseau mobile, où les enfants couraient épouvantés quand j'enlevais mon t-shirt car ils n'avaient jamais vu un blanc avec des poils dans la poitrine".

Et il continuait à raconter et raconter. "Et le changement en Afrique de l'Ouest, la sensualité du sable chaud qui te fait des caresses aux pieds, les mains qui se joignent autour d'un bol de nourriture à partager, et le soleil, et les dieux qui paraissent te bénir lors d'un bain rituel dans le Baobab sacré... Le Mali, avec sa danse mystérieuse de masques dans le pays dogon et sa fascinante histoire sur ses trois empires, où j'ai eu le privilège d'être le premier touriste à arriver à Gao depuis 2009. Et après le cauchemar avec les visas au Burkina Faso et le Benin, découvrir le quotidien du vaudou à Ouida ou Togoville, avec les enfants qui sautaient entre les statues des dieux et la vendeuse d'oranges en train de me raconter entre les arbres de racines liées qu'elle attend toujours à cet enfant qui n'arrive plus... Et tous les écrivains qui m'ont ouvert les portes de leurs maisons et de l'âme de ce mystérieux et bien-aimé continent qui autant te bat que te serre dans ses bras. Qui remue quelque chose à l'intérieur de toi et qui te fait penser comme Itxaso, une massai basque que j'ai connu en Tanzanie, qu'est-ce que je vais devenir quand je serai loin de l'immensité de l'Afrique?..." 



Il parle d'écrivains, car le voyage n'est pas que du plaisir. Son idée est de se faire avec des contacts dans les universités et de faire des entretiens à des auteurs différents, là où il va, pour sa thèse future sur la littérature africaine autour du réalisme magique. Sur son blog, Lolyplanet, César écrit son carnet de voyage et il poste des petites vidéos où il montre dès une fête Ashanti au Koumasi (Ghana) jusqu'à la mosquée de Djingayreber au Tombouctou (Nord du Mali). Dans son livre de bord, qui s'approche avec une grande curiosité et un énorme respect aux dizaines de cultures avec lesquelles César a l'opportunité de partager, il reprend aussi quelques expériences négatives, comme quand il est attaqué dans une plage et on essaya de violer à sa compagne de voyage. Cependant, mise à part cette expérience très dure, il juge que "le plus difficile a été d'apprendre à gérer la différence qui pressentent africains et occidentaux dans leur façon d'agir avec l'argent". 

D'après César, "le sentiment que n'importe qui  est sympa avec toi parce qu'il croit qu'à la fin tu vas lui donner de l'argent, même si ce n'est pas que pour ça, est très désagréable. Surtout quand le meilleur qu'ils possèdent est leur magique et légendaire hospitalité. Nous sommes plus cartésiens : soit je fait ça pour amitié et c'est complètement gratuit, soit c'est du business et on fixe le prix avant. Ils sont plus flexibles ou relativistes : vu que tu es mon ami j'attend seulement que tu me donnes un peu d'argent ; mais plus que cela, ils donnent de l'argent même à leurs grandes-mères quand ils vont les visiter, et s'ils n'ont pas d'argent ils n'y vont pas. En Afrique de l'Ouest, surtout au Sénégal, ça se mélange avec leur merveilleuse culture du partage. C'est le pays où j'ai vu le plus clairement que n'importe qui peut rentrer dans une maison et manger du bol commun duquel mange toute la famille. Mais ils attend de toi la même chose, et comme tu es blanc et on suppose que tu es riche, en théorie tu dois toujours donner et donner".




Il voyage avec ce qu'il a sur le dos. Il essaye de dépenser le stricte minimum et il reste dans des logements pas chers ou chez les gens qu'il a contacté au préalable à travers le système de couchsurfing. Il a une bonne conversation, excellente à mon avis, et un goût horrible pour choisir des chemises. Il rentrera bientôt en Espagne, mais dans son petit sac-à-dos il ramènera tellement de merveilleuses sensations et souvenirs qu'il sera marqué à vie par ce voyage. Partager avec lui un petit trajet de son incroyable expérience fut tout un plaisir. Partager avec vous les péripéties de César, le médecin de Burgos qui lisait à Chinua Achebe, c'est vous ouvrir les portes à un voyage extraordinaire. Penchez-vous sur son blog et découvrez-le par vous mêmes.